Assurance-vie : les primes manifestement exagérées en 10 questions

Existe-t-il une définition légale de la "prime manifestement exagérée" ?

Existe-t-il une définition légale de la "prime manifestement exagérée" ?

Non. Même si la notion de prime manifestement exagérée est prévue à l'article L. 132-13 du Code des assurances, ce dernier ne fournit pas de définition précise de ce qu'elle recouvre. L'appréciation repose sur des éléments de fait, propres à chaque affaire.
Qui peut invoquer la notion de "primes manifestement exagérées" ?

Dès lors qu'ils ont connaissance de l'existence d'un ou plusieurs contrats, les héritiers qui s'estiment lésés par le règlement d'une succession peuvent se prévaloir de l'article L. 132-13 du Code des assurances, à charge pour eux d'établir le caractère excessif des primes.

La preuve n'est pas toujours facile à rapporter, car elle suppose que les héritiers aient connaissance du ou des contrats et qu'ils soient en mesure de reconstituer le patrimoine et les revenus du souscripteur à l'époque du versement des primes.

Précisons qu'il n'y a de primes excessives susceptibles d'être réintégrées dans la succession seulement :

si le bénéficiaire du capital de l'assurance-vie est un héritier soumis au rapport - il est corrélativement héritier du souscripteur défunt et n'a pas renoncé à ses droits -,
ou s'il y a des héritiers réservataires qui se considèrent lésés.

Autrement dit, lorsque le bénéficiaire du contrat d'assurance-vie n'est pas soumis au rapport, soit parce qu'il n'est pas un héritier du souscripteur, soit, parce qu'étant l'un des héritiers, il a renoncé à ses droits, la prime jugée excessive n'est pas rapportable. En revanche, elle sera, le cas échéant, réductible dans les conditions de droit commun en cas d'atteinte à la réserve.
Un créancier peut-il invoquer la notion de "primes manifestement exagérées" ?

Le capital ou la rente garantis au profit d'un bénéficiaire déterminé ne peuvent pas, en principe, être réclamés par les créanciers du contractant. Ces derniers ne peuvent donc pas, en pratique, demander le rachat. Les créanciers ont seulement droit au remboursement des primes si celles-ci étaient manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur. Pour opérer, ils pourront notamment utiliser une procédure, dite "action paulienne" (article 1341-2 du Code civil), au cours de laquelle ils devront établir que le souscripteur a sciemment organisé son insolvabilité afin d'échapper à son obligation de paiement d'une dette.
Quels sont les critères retenus pour apprécier le caractère excessif des primes ?

La notion de "primes manifestement exagérées" s'apprécie, au moment du versement des primes, au regard de l'âge et des situations patrimoniale et familiale du souscripteur. En pratique, deux critères principaux doivent être pris en compte simultanément :

un critère "quantitatif", permettant notamment d'apprécier la proportion des primes versées par rapport aux revenus et au patrimoine du souscripteur,
un critère "qualitatif", reposant sur différents éléments, comme l'utilité de l'opération pour le souscripteur, son âge, son état de santé, son espérance de vie, ou encore le mobile de la souscription.

Aucun critère n'est exclusif et, en toute logique, aucune règle forfaitaire ne peut être appliquée à l'aveugle.

La Cour de cassation a, à plusieurs reprises, cassé des arrêts d'appel, non pas sur l'appréciation du caractère exagéré des primes, qui relèvent de l'appréciation souveraine des juges du fond, mais pour des défauts de méthode.

Exemples

1. Dans une affaire opposant deux frères aux enfants d'un premier lit de leur mère, la cour d'appel suit la requête des deux garçons qui avaient fait valoir le caractère manifestement exagéré des primes et avait demandé le rapport et la réduction. Les primes représentaient près de 100 % de ce qu'aurait été la succession. Or, en statuant ainsi, sans avoir égard à la situation patrimoniale et familiale du souscripteur au moment du versement des primes et sans tenir compte de l'utilité, pour le souscripteur, des contrats souscrits et des modifications intervenues, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. L'arrêt est donc cassé.

2. Les primes versées entre 2000 et 2004 par une souscriptrice, alors âgée de 85 à 89 ans et mère de trois enfants, au bénéfice exclusif de leur fille et du fils de celle-ci, pour un montant de 24,83 % de son patrimoine, sont jugées par la cour d'appel comme ne présentant pas un caractère manifestement exagéré. La Cour de cassation casse l'arrêt : en statuant ainsi, sans se prononcer sur l'utilité des contrats pour la souscriptrice, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

3. Une mère souscrit en 1998 un contrat d'assurance sur lequel elle verse la somme de 46 870 €. Le 6 février 2002, elle verse une seconde prime de 121 168 € et désigne comme bénéficiaires sa fille et le fils de cette dernière. Parallèlement, elle leur fait donation de biens immobiliers. Puis, elle institue sa fille légataire universelle, avant de décéder en octobre 2011. Ses autres héritiers sont trois petits-enfants, venant à sa succession par représentation de leur père décédé. Il existait de très fortes tensions avec ces derniers, lesquels ont attaqué les bénéficiaires de l'assurance-vie pour faire constater l'exagération de la deuxième prime. La cour d'appel estime les primes exagérées au regard du contexte familial et de l'ensemble des opérations patrimoniales déjà effectuées, qui démontrent que la souscriptrice a cherché à faire échapper cette somme à sa succession, et, partant, à la réserve héréditaire des enfants de son fils prédécédé. La Cour de cassation casse l'arrêt au regard du motif inopérant retenu par la cour d'appel, dans la mesure où cette dernière constate elle-même que le versement en cause présentait un intérêt pour la souscriptrice, alors âgée de 71 ans, dans la mesure où les revenus trimestriels qu'elle percevait de l'assurance amélioraient sa retraite.

4. Un fils assigne la compagne de son père en remboursement de la prime d'un montant de 200 000 € que son père avait versée sur un contrat d'assurance-vie dont elle était bénéficiaire estimant la prime manifestement exagérée. La cour d'appel lui donne partiellement raison ; elle estime que la prime était manifestement exagérée à concurrence de 50 000 € et ordonne le remboursement de cette somme au profit de l'héritier. La Cour de cassation casse la décision, non pas sur l'appréciation du caractère exagéré des primes, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, mais pour en avoir ordonné le remboursement sans avoir recherché s'il y avait eu atteinte à la réserve du fils.
Précisons ici que l'atteinte à la réserve n'est pas en soi un critère qui peut être valablement retenu pour qualifier une prime de manifestement exagérée.
L'âge influe-t-il sur les critères d'appréciation ?

L'âge est une des données prises en compte pour juger du caractère excessif des primes, mais il ne doit pas être le seul et écarter les autres éléments d'analyse.

Exemples

A été jugée exagérée une prime d'un montant total de 8 700 € (en quatre versements sur deux ans), le contrat ayant été souscrit par une femme de 89 ans dont les revenus nets mensuels s'élevaient à 640 € et qui ne laissait aucun bien à son décès.

A l'inverse, ont été jugées non exagérées les primes (un peu plus de 2,3 millions d'€ sur plusieurs années) versées par un homme âgé de 78 ans, chef d'entreprise encore en activité peu de temps avant sa mort ; la cour ayant retenu que, compte tenu de son espérance de vie, de la possibilité de rachat en cas de difficultés de trésorerie (faculté dont il a usé) et de la nature de ses obligations familiales, le contrat souscrit présentait pour le souscripteur une utilité certaine, tout en lui permettant, à raison de sa situation de fortune et de ses revenus, d'assurer ses obligations à l'égard de son épouse.
Transmettre tout son patrimoine en assurance-vie peut-il entraîner une correction pour "primes manifestement exagérées" ?

Non, pas obligatoirement. Le contrôle de la proportionnalité ne doit pas être opéré de façon isolée.

Exemples

A été jugée exagérée une prime de 46 000 € représentant plus de la moitié du prix de vente d'un immeuble, le solde du prix et les ressources limitées de la souscriptrice (800 € par mois) ne lui permettant pas de couvrir ses besoins, notamment ses frais de séjour en maison de retraite.

A l'inverse, ont été jugées non exagérées :

- une prime d'un montant de 94 000 € qui représentait 75 % du patrimoine de la souscriptrice âgée de 78 ans, possédant 28 000 € d'économies et bénéficiant d'une pension de retraite mensuelle de 1 750 €, n'ignorant pas la gravité de sa maladie. La prime ne présente pas un caractère manifestement exagéré car, par ce versement, elle entendait placer et garantir le capital acquis à la suite de la vente de sa maison, et pouvoir percevoir, si besoin, des revenus complémentaires. La cour d'appel a appliqué les bons critères ;

- une prime de 229 000 € versée par un homme de 80 ans, compte tenu de l'importance de son patrimoine à la date du versement : capital de 313 000 € + usufruit de deux maisons ;

- une prime d'un montant de 2 300 000 € versée par une femme âgée de 60 ans. La cour d'appel a souverainement estimé que cette prime n'était pas manifestement exagérée au regard des situations familiale et patrimoniale de la souscriptrice : la prime représentait moins de 14 % du patrimoine commun de la souscriptrice et de son conjoint ; la souscriptrice avait un enfant et trois petits-enfants (contrat souscrit au profit du mari et, à titre subsidiaire, des descendants) ; bien que malade, elle avait une réelle espérance de vie.
A quelle date se réfère-t-on pour apprécier les "primes manifestement exagérées" ?

Dans tous les cas, les juges doivent apprécier le caractère excessif au moment du versement des primes, et non à la date du décès.
Si la ou les primes sont exagérées, que se passe-t-il ?

Dans tous les cas de figure, le bénéficiaire conserve le capital décès issu du contrat, mais il peut être amené à en restituer une partie au titre d'une indemnité de rapport ou de réduction.

Rappelons qu'il n'y a de primes excessives que lorsque les conditions de droit commun à la réduction ou du rapport sont réunies pour que l'une ou l'autre puisse s'appliquer (cf question 2). Par conséquent :

lorsque le bénéficiaire du contrat n'est pas un héritier de l'assuré, la seule sanction de l'exagération des primes est leur réduction en cas d'atteinte à la réserve ;
lorsque le bénéficiaire est aussi un héritier légal, celui-ci est tenu au rapport et les primes sont réintégrées dans l'actif successoral.

Lorsque la prime est exagérée, que faut-il réintégrer dans la succession ?

La jurisprudence n'est pas fixée. Certains arrêts décident que c'est l'intégralité des primes versées par le souscripteur qui doit être rapportée à la masse partageable. D'autres, moins nombreux, jugent que le rapport doit seulement porter sur la fraction excessive des primes.
Faut-il en passer nécessairement par les tribunaux ?

Le caractère manifestement exagéré des primes n'a pas nécessairement à être constaté par une décision de justice à la demande des héritiers du souscripteur. La conclusion d'une transaction entre les héritiers et le bénéficiaire peut permettre d'éviter un long procès à l'issue incertaine.

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