Les droits du conjoint survivant sur le logement familial

L'année du veuvage

Le conjoint survivant a droit à la jouissance gratuite de son logement et du mobilier du logement pendant les 12 mois qui suivent le décès : il peut rester chez lui, les frais liés à son occupation étant à la charge de la succession. Ce droit est d’ordre public, ce qui signifie que le conjoint ne peut pas en être privé, même par testament du défunt. Il est également d’application automatique : le conjoint n’a pas à demander l’autorisation de rester dans les lieux.

Le logement protégé est celui qui constituait la résidence principale du conjoint à l’époque où il est devenu veuf. Trois observations :

  • le droit du conjoint n’est pas subordonné à la condition que les époux aient vécu ensemble. S’ils vivaient séparément, le survivant a droit à la jouissance de sa propre résidence principale, même s’il y vivait en concubinage à l’époque du décès ;
  • le conjoint ne perd pas son droit s'il se remarie dans les 12 mois du décès ;
  • le droit est limité à la résidence principale. La résidence secondaire n’est pas protégée, même à titre subsidiaire. Le conjoint ne peut pas obtenir la jouissance gratuite de sa résidence secondaire en remplacement de ses droits sur son habitation.

Bon à savoir

Le droit temporaire reconnu au conjoint sur son logement est un effet direct du mariage et non un droit successoral. Il en résulte les conséquences suivantes :

  •  le conjoint bénéficie du droit temporaire même s'il renonce à la succession ;
  •  le fait pour le conjoint de se prévaloir du droit temporaire n’emporte pas acceptation tacite de la succession ;
  •  la valeur du droit ne s'impute pas sur la part d'héritage du conjoint.

Si le logement était loué

Le droit temporaire au logement s'applique, que le bail ait été conclu au nom de l'un ou l'autre des époux ou des deux.

Le conjoint doit payer les loyers, mais ceux-ci lui sont intégralement remboursés par la succession au fur et à mesure de leur paiement. En pratique, le remboursement est effectué par le notaire chargé du règlement de la succession, qui prélève sur celle-ci les liquidités nécessaires au vu des quittances établies par le propriétaire.

A notre avis, le conjoint ne peut se faire rembourser que le loyer proprement dit, à l'exclusion des charges de l'immeuble. Le remboursement de la taxe d'habitation semble également exclu.

Si le logement appartenait aux époux

Le conjoint a droit pendant un an non seulement à la jouissance gratuite de son habitation, mais aussi à la jouissance gratuite du mobilier de ce logement. Ces droits sont applicables lorsque :

  • le logement était la propriété exclusive du défunt ;
  • le logement était la propriété des deux époux : bien commun ou encore bien indivis entre les époux, sans distinguer selon les quotités possédées par l'un et par l'autre.

Dans les deux cas, le conjoint peut rester dans les lieux. Il ne doit aucune indemnité aux autres héritiers, ni pour l'occupation du logement, ni pour la jouissance du mobilier.

Le droit temporaire s'applique également lorsque le logement était en indivision entre le défunt et une tierce personne (par exemple, le logement appartenait pour un tiers au défunt et pour deux tiers à ses frères, ou pour moitié aux époux et pour moitié à leurs enfants). Le conjoint peut rester dans les lieux pendant un an et l'indemnité d'occupation qu'il doit verser au tiers lui est intégralement remboursée par la succession, au fur et à mesure de son paiement.

Le droit temporaire ne s'applique pas lorsque :

  •  le défunt était seulement usufruitier du logement : l'usufruit prenant fin au décès de son titulaire, le logement ne se retrouve pas dans sa succession ;
  •  le logement est la propriété d’une société civile (ou autre société). Il en est ainsi à notre avis même si les époux étaient les deux seuls associés de la société.

Régime fiscal

Le conjoint n’est pas imposable sur la valeur de son droit temporaire. Il en va ainsi :

  • en matière de droits de succession, dont le conjoint survivant est totalement exonéré. En tout état de cause, le droit temporaire n’est pas un droit de nature successorale ;
  • et en matière d’ISF, faute d’assiette. Le droit temporaire est dépourvu de valeur patrimoniale en raison de son caractère incessible et intransmissible.

Après l'année du veuvage

Passé le délai d’un an, le conjoint peut demander à bénéficier sa vie durant d’un droit d’habitation sur son logement et d’un droit d’usage sur le mobilier de ce logement.

Ces droits viagers du conjoint sur sa résidence principale ont le même champ d'application que le droit temporaire d'un an dont ils prennent la suite, sous deux réserves :

  • si le logement était en indivision entre l'époux défunt et un tiers, le conjoint survivant ne peut pas prétendre au maintien dans les lieux passé le délai d'un an ;
  • si le logement était loué par les époux, le survivant ne bénéficie que d'un droit d’usage sur le mobilier compris dans la succession et garnissant le logement. Ceci dit, à raison des règles en matière de bail d'habitation, les époux sont en principe cotitulaires du bail qui assure leur logement ; à défaut, notamment s'ils ne vivaient pas ensemble, le survivant bénéficie du transfert du bail à son profit s'il en fait la demande.

La valeur des droits d’habitation et d'usage s'impute sur celle des droits successoraux que recueille le conjoint et vient donc en diminution de sa part d'héritage. Cependant, le conjoint n'a pas à indemniser la succession si la valeur des droits d'habitation et d'usage excède sa part de succession.

Bon à savoir

Le droit d'habitation donne au conjoint survivant la possibilité de rester dans les lieux, mais non d'y rester gratuitement. Le conjoint doit acquitter les réparations d’entretien et les charges afférentes à l’immeuble, ainsi bien sûr que la taxe d'habitation (en tant qu'occupant).

Pour protéger leur droit de propriété, les héritiers peuvent demander au conjoint de faire un état de l'immeuble et un inventaire des meubles qui y sont situés.

Les droits d'habitation et d'usage ne sont ni d'application automatique, ni d'ordre public. Le conjoint n'en bénéficie que s'il en fait la demande et à la condition de ne pas en avoir été privé par le défunt.

La demande du conjoint doit être faite dans un délai d'un an à compter du veuvage, c'est-à-dire pendant l'année au cours de laquelle il bénéficie de la jouissance gratuite du logement. Aucune condition particulière de forme n'est prévue. En pratique, l'acte notarié doit être privilégié : il conserve la preuve de la demande et fait foi de sa date.

Ajoutons que le conjoint n'a de véritable intérêt à effectuer cette demande que s'il hérite du quart, de la moitié ou des trois quarts de la succession en pleine propriété. S'il hérite de toute la succession en usufruit, il n'a pas besoin du droit d'habitation pour conserver la jouissance de son logement, puisque l'usufruit lui assure des droits plus étendus. S'il hérite de toute la succession en pleine propriété, la demande est sans objet.

Tant qu'il continue à vivre dans le logement, le veuf ou la veuve conserve le bénéfice des droits d'habitation et d'usage, même s'il se remarie.

Il ne peut en principe ni les céder, ni les louer. Cependant, il peut donner le bien en location à usage d'habitation ou à usage professionnel pour se procurer les ressources nécessaires à de nouvelles conditions d'hébergement si le logement n'est plus adapté à ses besoins : nécessité de trouver un logement plus fonctionnel, de se rapprocher de ses enfants, etc. Le conjoint est à notre avis seul maître à bord pour définir ses besoins.

Le conjoint et les autres héritiers du défunt peuvent passer une convention pour convertir en rente viagère ou en capital les droits d'habitation et d'usage. S'il y a un enfant mineur ou un majeur protégé parmi les héritiers, la convention doit être autorisée par le juge.

Le conjoint survivant peut être privé
 de ses droits d'habitation et/ou d'usage

Le conjoint peut être privé par le défunt de ses droits d'habitation sur le logement et/ou d'usage sur le mobilier. Mais c'est en pratique assez rare :

  • ce n'est possible que par testament notarié. Un testament olographe (c'est-à-dire écrit en entier, date et signé de la main de son auteur) est inefficace, même s'il déshérite par ailleurs totalement le conjoint ;
  • si le conjoint recueille la totalité de la succession en usufruit, que ce soit par l'effet de la loi (en présence uniquement d'enfants communs) ou d'une donation au dernier vivant, la clause du testament le privant de ses droits sur son logement est par elle-même sans effet. Pour être efficace, la privation de droits doit s'accompagner du legs du logement à une tierce personne (un enfant, par exemple).

Au moment du partage de la succession

Le conjoint a priorité pour devenir propriétaire de son logement.

Si le conjoint hérite d'une quotité en pleine propriété (par exemple, un quart de la succession) et se retrouve de ce fait en indivision avec d'autres héritiers du défunt, il peut demander au juge de lui attribuer lors du partage :

  • son logement dès lors qu'il constituait déjà sa résidence à l'époque où il est devenu veuf ;
  •  les meubles qu'il contient ;
  • le véhicule du conjoint s'il lui est nécessaire pour les besoins de la vie courante, par exemple pour pouvoir rester dans son logement.

L'attribution préférentielle de la propriété du logement, de son mobilier et du véhicule est de droit pour le conjoint.

Si le conjoint attributaire du logement doit payer une soulte aux autres héritiers (parce que sa part dans la succession est inférieure à la valeur du logement), il bénéficie à concurrence de la moitié de cette soulte de délais de paiement spéciaux (jusqu’à 10 ans). Sauf convention contraire, les sommes restant dues portent intérêt au taux légal.

© Copyright Editions Francis Lefebvre