Quel régime matrimonial choisir quand on crée ou détient une entreprise ?

Le régime matrimonial définit l'ensemble des règles qui régissent, sur le plan pécuniaire, les rapports entre les époux et leurs relations avec les tiers, ainsi que le pouvoir des époux sur leurs biens et leur obligation aux dettes, pendant le mariage et à sa dissolution. Lorsqu'on crée ou possède une entreprise, le choix d'un contrat de mariage peut paraître simple si l'on se fixe comme seul objectif de placer le conjoint du dirigeant à l'abri des créanciers. Il se complique si l'on désire que l'enrichissement éventuel du dirigeant puisse profiter au conjoint. En l'état actuel de la législation sur les régimes matrimoniaux, seul le régime de la participation aux acquêts est susceptible de concilier les deux objectifs. L'adoption de ce régime doit toutefois s'accompagner de certaines précautions afin de ne pas risquer de placer le dirigeant dans une situation difficile en cas de divorce.

Quels sont les enjeux ?

La question est évidemment de savoir à qui appartient l'entreprise et qui est en droit d'y exercer le pouvoir, tant en cours de mariage qu'à la dissolution de ce dernier. C’est surtout lors de la dissolution que des problèmes risquent de se poser.

Déterminer qui détient la propriété de l’entreprise

Rappelons des principes. Une participation dans une entreprise constitue un bien propre :

  • si son créateur, ou acquéreur, est marié sous le régime de la séparation de biens ;
  • si, les époux étant mariés sous le régime légal :
    • l’entreprise a été créée ou acquise avant le mariage,
    • ou créée ou acquise durant le mariage au moyen de biens propres ;
  • si, les époux ayant opté pour un régime de communauté conventionnelle :
    • ils sont expressément convenus qu'il en serait ainsi,
    • ou si l'entreprise a été créée ou acquise durant le mariage au moyen de biens propres.

A l'inverse, la participation sera un bien commun si l’entreprise a été créée ou acquise durant le mariage au moyen de biens communs. En pareille situation, l'époux qui veut utiliser les biens communs n'a pas toute liberté d’action. En effet, on relèvera deux freins dans le Code civil. D'une part, l'article 1427 autorise un époux à exercer une action en nullité contre celui qui aurait outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs. L'action est ouverte au conjoint pendant deux années à compter de la connaissance de l’acte. D'autre part, l'article 1832-2 impose, pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables, que le conjoint en soit averti au préalable et "qu’il en soit justifié dans l’acte".

Déterminer qui détient le pouvoir dans l’entreprise

Une fois déterminé à qui appartient l’entreprise, se pose la question de savoir qui peut y exercer le pouvoir.

Dans le cadre d'une entreprise individuelle, l’époux qui exerce seul et de façon séparée sa profession a tout pouvoir pour les actes d’administration et de disposition nécessaires à son activité (article 1421, al. 2 du Code civil).

Dans le cadre d'une société, la qualité d'associé est reconnue à celui des époux qui fait l’apport ou réalise l’acquisition. C’est donc lui qui aura le droit de vote et, par le fait même, exercera le pouvoir dans l’entreprise (article 1832-2, al. 2 et 3 du Code civil). Cependant, si l'apport provient de fonds communs, l'autre époux peut notifier son intention d'être lui aussi personnellement associé. Dans ce cas, l'acceptation ou l’agrément des autres associés vaudra pour les deux époux.

Quelles conséquences en cas de divorce ?

Le divorce est de peu de conséquences lorsque l’entreprise est un bien propre de son dirigeant.

Il en est autrement :

  • si les époux sont associés dans la même société,
  • ou, a fortiori, si l’entreprise est un bien commun.

Dans cette seconde hypothèse, les époux devront généralement se partager la propriété de l’entreprise, quand ce n’est pas l’exercice du pouvoir :

  • à moins que les biens du ménage soient suffisamment abondants pour que la totalité de l’affaire puisse être attribuée à l’un des conjoints sans léser l’autre,
  • et qu’il y ait accord entre eux sur cette répartition.

Compte tenu de la mésentente qui se trouve, par définition, à l’origine de tout divorce, la période risque d’engendrer des blocages ou des tiraillements dommageables pour l'entreprise. Ces difficultés peuvent se révéler à proprement parler insurmontables si l’entreprise est individuelle. En cette hypothèse, le divorce peut entraîner la disparition de l'affaire, du moins sous la forme qui était la sienne auparavant.

Dans le cas d'une société, le conjoint qui n'avait pas notifié son intention d’être associé lors de l’apport de fonds communs peut tout de même souhaiter recouvrer sa part lors de la liquidation de la communauté. Ce souhait peut se trouver contrarié ou bloqué par des clauses d'agrément prévues dans les statuts de la société. Ces clauses, qui subordonnent généralement la cession de parts à un tiers à l'agrément des autres associés, ne jouent normalement pas en cas de liquidation d'un régime matrimonial (article L 228-3, al. 3 du Code de commerce). Elle peuvent toutefois être appliquées lorsque l'entreprise n'est pas cotée sur un marché réglementé et qu'elle réserve des actions à ses salariés (article L 228-3, al. 4 du Code de commerce).

Bon à savoir

Les parts sociales acquises durant le mariage avec des fonds communs sont intégrées dans l'actif de la communauté pour leur valeur patrimoniale. Les parts elles-mêmes et la qualité d'associé ne tombent pas dans l'indivision postcommunautaire et ne donnent donc pas lieu à partage. L'époux souscripteur est libre de disposer des parts dont il est titulaire sans l'accord de son ex-conjoint.

En outre, une communauté entre époux comportant des éléments d’actif professionnels est considérée, sur le plan fiscal, comme une indivision. Le divorce, événement par lequel cesse l’indivision, entraîne la cessation de l’entreprise à l’égard de celui des ex-époux qui se retire. Ce dernier, qui abandonne ses droits sur le fonds, est alors soumis à l’impôt au titre des plus-values professionnelles. Le conjoint qui continue l’activité n’est pas, quant à lui, imposé.

Quelles conséquences en cas de décès du conjoint ?

Le décès du conjoint a les mêmes conséquences qu'en cas de divorce si l'on excepte le fait de voir arriver éventuellement des héritiers pressés d'exercer le pouvoir ou de profiter du capital constitué par la participation reçue du défunt.

Éléments à prendre en compte pour choisir

Le choix d'un contrat de mariage peut paraître simple si l'on se fixe comme seul objectif de placer le conjoint du dirigeant à l'abri des créanciers. Au-delà, le choix se complique et le recours à l’assistance d’un juriste spécialisé pour rechercher la solution la plus équitable possible est nécessaire. Quelle que soit la solution envisagée, elle doit tenir compte de l'ensemble des données, en particulier :

  • de l'ensemble des avoirs et des dettes en présence,
  • des dispositions de dernières volontés prises de part et d’autre, régime matrimonial et dispositions de dernières volontés devant être considérés simultanément.

Avantages et inconvénients de la séparation de biens

Il est fréquent d’entendre dire que les époux ont intérêt à être mariés sous le régime de la séparation de biens quand l’un dirige une entreprise dans laquelle il détient une importante participation, a fortiori quand il crée cette entreprise. Il est de fait que ce régime met chaque époux totalement à l’abri des dettes éventuellement contractées par l’autre, hormis ce qui concerne la solidarité en matière fiscale.

Malheureusement, le régime de séparation de biens met également le conjoint “à l’abri des gains”. Autrement dit, l’ensemble des profits réalisés grâce à l’entreprise demeure dans le patrimoine du dirigeant et ne profite pas à son conjoint. Cela peut correspondre à la volonté des intéressés, mais également nuire à la sécurité familiale, en particulier si le conjoint du dirigeant n’exerce aucune activité professionnelle et ne détient aucune fortune personnelle.

En matière de sécurité, le palliatif pourra être apporté par l’assurance décès, laquelle coûte cependant de plus en plus cher au fur et à mesure de l’avancée en âge de l’assuré. Autre solution : le conjoint du dirigeant pourra profiter des gains réalisés sur et par l’entreprise à travers la transmission par voie de donation ou succession. Mais une telle transmission ne peut s’opérer que dans certaines limites s’il existe des héritiers réservataires, et moyennant le paiement des droits de donation. Rappelons que le conjoint bénéficie néanmoins d’une exonération totale de droits de succession.

Enfin, dans l’hypothèse d’une entreprise nouvelle, les époux peuvent envisager de créer une société entre eux deux. Mais, en ce cas, à moins de ne pas occuper de poste de responsabilité de droit ou de fait, le conjoint risque de ne plus être à l’abri des créanciers, ce qui était l’intérêt premier du régime de séparation.

Avantages et inconvénients de la communauté légale

Les avantages et les inconvénients de la communauté légale sont en quelque sorte symétriques de ceux du régime de la séparation de biens :

  • risques plus étendus que dans la séparation de biens, même s'ils sont dans l'absolu limités aux biens communs,
  • participation possible aux profits, à condition que l’entreprise soit incluse dans la communauté.

Il ne faut cependant pas oublier que cette participation du conjoint aux profits d’une entreprise ne correspond pas nécessairement à la volonté des intéressés et à leurs intérêts. En particulier, elle peut poser de redoutables problèmes en cas de divorce.

Avantages et inconvénients des autres régimes

Régimes de communauté conventionnelle

Les régimes de communauté conventionnelle permettront éventuellement de corriger les inconvénients du principe communautaire. Leur mise en œuvre est cependant délicate.

Régime de participation aux acquêts

Le régime de participation aux acquêts tend à répondre à la problématique de l’entrepreneur :

  • durant la vie conjugale, il produit les effets d’un régime de séparation de biens, ce qui met le conjoint du dirigeant à l’abri des créanciers de ce dernier,
  • au terme de la vie conjugale, il devient, dans une certaine mesure, un régime communautaire puisqu’il donne à chaque époux le droit de participer à l’enrichissement dont l’autre a bénéficié durant toute la vie conjugale.

Cela étant, il présente des inconvénients :

  • la participation à l’enrichissement du conjoint se justifie en cas de décès, mais il est, on peut le supposer, difficilement supportable en cas de divorce,
  • la mise en œuvre du régime est parfois complexe car elle suppose une mesure exacte de la valeur des deux patrimoines au jour du mariage ; il faut en dresser un inventaire.

En cas de divorce, si l’entreprise a été acquise ou créée pendant le mariage, le dirigeant devra faire participer son conjoint à la valeur de celle-ci. Lorsqu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour payer la créance de participation due au conjoint à ce titre, il peut se trouver contraint de vendre l’entreprise, situation qui peut être dramatique pour lui.

Pour se prémunir contre ce risque, il peut être prévu dans le contrat de mariage :

  • que les biens professionnels d’un époux ne seront pas pris en compte pour calculer son enrichissement,
  • ou qu’ils ne seront pris en compte que dans une certaine limite.

Quid d'un changement de régime matrimonial ?

A moins d’avoir hérité d'une entreprise, ou de savoir que l'on en héritera, il est rare que l'on détienne tous les éléments du problème au moment où l'on se marie, ni même à l’époque de la création de l’entreprise. Dans ce cas, la seule solution sera donc de changer de régime si l'on estime que celui que l'on a adopté ne convient pas à la situation née de la création de l’entreprise.

Hormis le fait que le changement de régime matrimonial ainsi que la nouvelle répartition de biens entre époux qui en constitue la conséquence normale ne doivent pas être effectués en fraude des droits des créanciers, une telle procédure a un coût loin d'être négligeable. Le coût global est généralement constitué :

  • des frais d'établissement de l'acte notarié : environ 460 €, auxquels s'ajoute généralement une analyse patrimoniale préalable pour laquelle les honoraires sont libres et leur importance dépend de la complexité du dossier,
  • des frais d’avocat pour l’homologation de l'acte notarié devant le tribunal, de l'ordre de 2 500 €,
  • des frais de publicité du jugement dans un journal d’annonces légales et, le cas échéant, au registre du commerce (environ 350 €),
  • du coût de la liquidation du régime matrimonial et, le cas échéant, du coût du partage en cas d'adoption d'un régime de séparation de biens,
  • des émoluments dus sur l'attestation immobilière constatant le changement de statut d'un bien,
  • et des droits d'enregistrement : droit fixe de 125 €, taxe de publicité foncière calculée sur la valeur des biens ou droits immobiliers, au taux global de 0,71498 % et contribution de sécurité immobilière de 0,1 % due en cas de mutation immobilière. Le droit fixe et la taxe de publicité foncière ne sont pas dus lorsque le changement a pour objet l'adoption d'un régime communautaire.

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