Réforme des retraites : quelles sont les préconisations du rapport Delevoye ?

Emmanuel Macron a initié en septembre 2017 une vaste concertation en vue d’une réforme du système des retraites français qui aboutirait à la création d’un régime de retraite commun à tous les actifs, quelle que soit leur profession, en lieu et place des 42 régimes obligatoires actuellement en place, qu’ils soient de base ou complémentaires. Jean-Paul Delevoye, nommé Haut-commissaire à la réforme des retraites, a eu pour mission d’organiser la concertation avec les principaux acteurs du champ des retraites, laquelle a duré près de 18 mois. Le 18 juillet, il a présenté les grands principes fondateurs de ce système universel de retraite qui doivent servir de base à l’élaboration d’un projet de loi attendu pour la fin de l’année 2019. D’ici là, divers éléments de cette réforme systémique seront encore amenés à être précisés et négociés.

Un système par répartition et par points

Le régime universel de retraite conserverait le principe d’une gestion par répartition. Autrement dit, comme dans le régime actuel, les actifs financeront les pensions des retraités. En revanche, le montant de la pension ne serait plus déterminé en fonction du nombre de trimestres acquis par l’assuré mais selon un nombre de points comptabilisés tout au long de sa carrière, chaque euro cotisé conduisant à l’acquisition du même nombre de points pour tous les assurés, quels
 que soient l’activité professionnelle, le statut ou la forme d’exercice. Par conséquent, il n'y aurait plus de périodes travaillées inutiles, puisque chacune d'entre elles permettrait d'acquérir des points de retraite, tandis que le système actuel du régime général, quels que soient les circonstances et le temps travaillé, plafonne à 4 trimestres la validation d'une année ou même ne permet pas de valider 1 trimestre si le nombre d'heures travaillées n'est pas suffisant.

Des cotisations et un système d’acquisition de points de retraite unifiés

Les assurés du régime universel de retraite seraient redevables d’une cotisation dont le taux global serait fixé à 28,12 %. Elle se décomposerait en deux cotisations :

  •  une cotisation plafonnée productrice de droits, au taux global de 25,31 %, assise sur le revenu professionnel pris dans une limite fixée à 3 fois le montant du plafond de la Sécurité sociale - PSS (soit, en 2019, 10 131 € par mois ou 121 572 € par an)
  •  et une cotisation déplafonnée de solidarité, non productrice de droits, au taux global de 2,81 %.

10 € cotisés devraient permettre d’acquérir 1 point de retraite.

Pour les salariés et actifs assimilés, fonctionnaires inclus, la cotisation serait partagée à hauteur de 40 % pour les employés et 60 % pour les employeurs.

Cotisations envisagées pour les salariés

Cotisation...

Part salariale

Part patronale

Taux global

assise sur la rémunération comprise entre 0 et 3 PSS

10,12 %

15,19 %

25,31 %

assise sur la rémunération totale

1,12 %

1,69 %

2,81 %

Le rapport Delevoye prévoit une harmonisation des assiettes de cotisation pour l’ensemble des actifs et une convergence des taux. À cet égard :

  •  les primes perçues par les fonctionnaires et les salariés des régimes spéciaux entreraient dans l’assiette de cotisation et seraient, par voie de conséquence, prises en compte pour le calcul des droits à retraite, contrairement au système qui prévaut actuellement ;
  •  le barème de cotisation appliqué aux indépendants serait adapté de telle sorte que l’équité avec les salariés soit respectée et un montant minimal de cotisation serait maintenu comme actuellement ;
  •  il est proposé de refondre l’assiette de cotisation des indépendants afin de la rapprocher de celle des salariés en définissant une assiette brute : un abattement forfaitaire pourrait être appliqué au revenu déclaré comptablement, avant prélèvements sociaux ;
  •  il est proposé une transition progressive vers les taux de cotisation préconisés, pendant 15 ans au maximum, pour les régimes de retraite qui disposent actuellement de taux de cotisation différents (par exemple, le régime AGIRC-ARRCO et les différents régimes de retraite complémentaire des professions libérales).

Barème de cotisations envisagé pour les indépendants

Tranches de revenus

Taux de cotisation plafonnée

Taux de cotisation déplafonnée

Taux global

Entre 0 et 1 PSS

25,31 %

2,81 %

28,12 %

Entre 1 et 3 PSS

10,13 %

2,81 %

12,94 %

Au–delà de 3 PSS

-

2,81 %

12,94 %

Remarque

Sans les remettre spécialement en cause, le rapport Delevoye pointe des spécificités actuelles qui devront être prises en compte dans le régime universel comme, par exemple, les cotisations calculées sur des assiettes forfaitaires pour certaines professions ou le maintien d’avantages prenant la forme d’une réduction de taux (par exemple, les artistes de spectacles), d’une exonération (par exemple, les marins), d’un abattement sur cotisations sociales (par exemple, les journalistes) ou encore d’une prise en charge d’une partie des cotisations retraite (par exemple, les professionnels de santé conventionnés).

Condition d’ouverture des droits à pension

L’âge minimal requis pour la liquidation des droits (ou âge légal de la retraite) serait maintenu à 62 ans. Cependant, un âge, dit “d’équilibre”, serait instauré afin de bénéficier d’une pension sans décote (voir ci-après les modalités de calcul des pensions) ; celui-ci serait fixé à 64 ans. Ces bornes ne seraient toutefois pas gravées dans le marbre, le rapport Delevoye préconise de les faire évoluer en fonction de l’espérance de vie.

Par ailleurs, le rapport propose un maintien des dispositifs de départ anticipé, ceux pouvant être effectué avant l’âge légal de la retraite. Seraient concernés :

  •  les assurés ayant commencé tôt leur activité (avant 20 ans) et ayant effectué une carrière longue, lesquels auraient la possibilité de partir à la retraite à partir de 60 ans,
  •  les assurés handicapés, sur la base d’un taux d’incapacité de 50 %, ceux-ci pourraient partir à la retraite à un âge fixé entre 55 et 59 ans (serait prise en compte la durée de cotisation en situation de handicap),
  •  les assurés atteint d’une incapacité permanente (dispositif du compte professionnel de prévention de la pénibilité (C2P) qui serait par la même occasion ouvert aux agents du secteur public et aux assurés relevant des régimes spéciaux).

Remarque

Les dispositifs de départ anticipé dans la fonction publique et dans les régimes spéciaux seraient, par principe, progressivement fermés. En contrepartie, ces assurés pourraient disposer d’un compte “pénibilité” (C2P) et bénéficier ainsi d’une possibilité de départ anticipé à la retraite. Cependant, les dispositifs de départ anticipé comme ceux existant actuellement seraient maintenus pour les marins et certains fonctionnaires exerçant des fonctions dangereuses dans le cadre de missions régaliennes : militaires, policiers (police nationale et policiers municipaux), surveillants de l’administration pénitentiaire, ingénieurs du contrôle aérien, sapeurs-pompiers professionnels.

Par ailleurs, la question de la prise en compte des études, plus ou moins prolongées avant de rentrer dans la vie active, serait examinée lors de la nouvelle phase de concertation précédant la mise au point du projet de loi. Il s’agit ici de trouver une alternative au système actuel de rachat de trimestres au titre des années d’études supérieures.

Calcul de la pension personnelle

Principe général de calcul

Comme dans tout régime par points, le montant de la pension serait égal au nombre de points accumulés tout au long de la carrière (rappel : 10 € cotisés donneraient droit à 1 point de retraite) multiplié par la valeur de service du point. Le rapport Delevoye fixe la valeur du point au démarrage du nouveau système à 0,55 €, étant entendu que cette valeur ne serait actée qu’en 2024, à la veille du démarrage effectif du nouveau système, en fonction des hypothèses économiques qui prévaudront alors.

Une majoration du nombre de points de 5 % serait octroyée dès le 1er enfant. La majoration serait sans limite (soit, par exemple, 25 % de majoration si 5 enfants). Cependant, au cours des 4 premières années de l’enfant (ou celles suivant l’adoption), les parents devraient avoir à décider lequel des deux bénéficiera de la majoration ou bien de la partager ; à défaut de décision prise, les droits seraient automatiquement attribués à la mère.

Des points pourraient aussi être acquis gratuitement par :

  •  les parents qui interrompront ou réduiront leur activité professionnelle pour élever leur(s) enfant(s) durant les 3 premières années suivant la naissance s’ils sont bénéficiaires de prestations familiales (prestation partagée d’éducation de l’enfant, allocation de base de la Paje),
  •  les assurés ayant accompagné un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie ou malade afin de compenser les préjudices de carrière liés à ces périodes d’aide,
  •  les assurés handicapés, la majoration serait fonction de la durée de travail en situation de handicap.

Décote/surcote autour d’un âge dit “d’équilibre”

Le futur système universel de retraite conserverait le principe d’un âge de départ dit à “taux plein” (ou âge d'équilibre selon la terminologie du rapport), fixé à 64 ans. De ce fait, l’assuré qui partirait à la retraite avant cet âge subirait une décote de 5 % par an, soit 10 % au maximum pour un départ à 62 ans. À l’inverse, un départ différé permettrait de bénéficier d’une majoration de 5 % par an, soit 10 % au maximum si le départ est retardé d’au moins 2 ans.

Exemple

Un assuré a cotisé sur la base d’un salaire égal à 1,5 SMIC. Il a acquis 30 000 points (10 € cotisés = 1 point) tout au long de sa carrière. Il a la liberté de partir à 62 ans, âge légal de départ à la retraite.

La retraite mensuelle à l’âge du taux plein est calculée en appliquant la valeur de service, 1 point acquis est égal à 0,55 €. Selon son âge de départ, le montant de la retraite serait le suivant :

  • à 64 ans (âge du taux plein) : 30 000 x 0,55 = 16 500 €, soit 1 375 € par mois ;
  • à 62 ans (âge du taux plein - 2 ans) : (30 000 x 0,55) x 90 % = 14 850 €, soit 1 238 € par mois ;
  • à 63 ans (âge du taux plein - 1 an) : (30 000 x 0,55) x 95 % = 15 675 €, soit 1 306 € par mois ;
  • à 65 ans (âge du taux plein + 1 an) : (30 000 x 0,55) x 105 % = 17 325 €, soit 1 444 € par mois ;
  • à 66 ans (âge du taux plein + 2 ans) : (30 000 x 0,55) x 110 % = 18 150 €, soit 1 513 € par mois ;

Montant minimum

Le rapport Delevoye préconise un dispositif unique de minimum de retraite ouvert à tous les assurés, principalement ceux ayant perçu de faibles revenus pendant leur carrière professionnelle. Le niveau préconisé est fixé à 85 % du SMIC net pour la réalisation d’une carrière complète. Notons que le rapport ne définit par les caractéristiques d’une “carrière complète”.

Remarque

Conformément à une annonce du Président de la République, le minimum vieillesse devrait être progressivement relevé pour atteindre 1 000 €. Le rapport Delevoye préconise une indexation du minimum de retraite dans le futur système sur l’évolution du SMIC, et non plus comme aujourd’hui sur l’inflation.

 Revalorisation des retraites

Le rapport Delevoye préconise que la valeur du point du régime puisse être indexée sur l’évolution du revenu moyen par tête, un indicateur économique qui, à l'heure actuelle, n'est pas clairement défini. Il prévoit néanmoins une phase de transition au cours de laquelle l’indexation des points puisse continuer à être déterminée par pondération entre l’évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation et l’évolution des revenus moyens par tête. En tout état de cause, la valeur du point de service ne pourra pas baisser.

En revanche, une fois les points transformés en retraite, les pensions servies resteraient revalorisées en fonction de l’inflation comme actuellement. Toutefois, le Haut-commissaire précise que, “dans le cadre du pilotage des paramètres, les partenaires sociaux présents dans la gouvernance du système universel auront la possibilité de se prononcer sur une éventuelle revalorisation des retraites en fonction de l’évolution des salaires”.

Pensions de réversion unifiées

Le rapport Delevoye préconise un dispositif unique pour l’attribution des pensions de réversion. Il a pour objectif de garantir un niveau de vie constant pour la personne veuve. Celle–ci devrait conserver 70 % des droits à retraite dont bénéficie le couple. En pratique, aucune condition de ressources ne serait imposée. Le montant de la réversion serait calculé par la différence entre le montant que représentent 70 % des droits du couple et la retraite personnelle de la veuve ou du veuf.

Exemple

Monsieur avant son décès perçoit 2 000 € par mois de retraite et Madame, 850 € par mois, soit 2 850 € par mois pour le couple. Le calcul de la pension de réversion de Madame serait effectué de la façon suivante : (2 850 x 70 %) - 850 = 1 145 €. La réversion de 1 145 € viendra s’ajouter à la retraite personnelle de Madame (850 €), soit un total de 1 995 € par mois.

Le droit à une pension de réversion serait ouvert à partir de 62 ans et serait réservé, comme aujourd’hui, uniquement aux couples mariés.

Remarque

Les droits des ex-conjoints à une pension de réversion seraient fermés pour les divorces intervenant après l’entrée en vigueur du système universel de retraite. Pour les divorces intervenus avant l’entrée en vigueur du nouveau système, la pension de réversion serait proratisée en fonction de la durée de chaque mariage, si les conjoints divorcés ne sont pas remariés au moment du décès de leur ancien époux.

Renforcement du droit à l’information des assurés

Dans le cadre du régime universel, l’offre de services en faveur serait améliorée de telle sorte que tout assuré puisse connaître ses droits et puisse anticiper l’impact de ses changements de vie ou de carrière sur sa retraite et faire des choix éclairés tout au long de sa vie professionnelle.

En 2025, 100 % des démarches relatives à la retraite devraient être réalisables en ligne. Chaque assuré devrait disposer d’un compte personnel unique, créé dès le 1er euro cotisé. Le compte devrait permettre d’accéder à une information personnalisée et simplifiée et à des outils de simulation. L’accompagnement des assurés, tout au long de leur carrière professionnelle – pas seulement à partir de 55 ans comme actuellement – serait développé.

Entrée en vigueur du nouveau système : à compter du 1er janvier 2025 pour les générations nées à partir de 1963

Le système universel s’appliquerait au plus tôt aux personnes nées à partir de 1963, et dont l’âge légal de départ à la retraite, soit 62 ans, sera atteint à compter du 1er janvier 2025, c’est-à-dire dans un délai de 5 ans à compter de la présentation de la loi. Par conséquent, les actifs qui sont actuellement à moins de 5 ans de la retraite ne devraient pas, en tout état de cause, être visés par la réforme. Les générations des assurés dont l’âge légal de départ à la retraite est inférieur à 62 ans seraient décalées (par exemple, pour ceux dont l’âge légal de départ est de 57 ans, c’est la génération née en 1968 qui serait la première concernée).

Le rapport Delevoye rassure : “les droits à retraite constitués au titre de la carrière professionnelle effectuée avant le 1er janvier 2025 seront garantis à 100 %, avec application des règles des régimes de retraite auxquels les assurés ont appartenu (...) Pour prendre en compte ces droits, une photographie des droits relatifs à la carrière effectuée sera réalisée au 31 décembre 2024. Par souci de lisibilité, ces droits issus de la carrière passée seront transformés en points du nouveau système et seront notifiés comme tels aux assurés concernés”. Cela étant, le Haut-commissaire indique que “des travaux complémentaires sur les implications juridiques et opérationnelles de cette transition seront menés d’ici à la présentation du projet de loi. Ils feront l’objet d’une concertation”.

Retraite progressive et cumul emploi-retraite

Les dispositifs de la retraite progressive et du cumul emploi-retraite seraient conservés. Le premier serait élargi à l’ensemble des assurés. Le second permettrait de reprendre une activité sans plafond ni limite après sa retraite au taux plein et d’acquérir de nouveaux droits à retraite.

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